Gérard KUNIAN
84 ans
Qui suis-je ?
Si je le savais, je n’aurais pas fait la moitié du tiers de ce que j’ai commis en 84 ans : Eh oui je suis un produit (oxydable) d’avant-guerre.
Premier tour de passe-passe vers mes cinq ans, je me refuse à participer à la magie d’outre Rhin et pour ne pas être transformé en savonnette ou en abat-jour, on me dissimule chez de grandes tantes niçoises : l’une d’elle est artiste peintre et je découvre dans son atelier l’ivresse de la térébenthine en même temps que dans la bibliothèque les images de Tom Tit ainsi que dans un placard un kaléidoscope : c’en est fait ma vie sera faite de rencontres avec les images et les illusions !
Revenu à Paris je passerai toute ma scolarité au Lycée Charlemagne ou lorsque j’ai douze ans un professeur à la bonne idée de m’indiquer la bibliothèque de l’heure Joyeuse.
Ce sera ma rencontre avec la magie
Cette bibliothèque était alors la seule consacrée aux enfants, chaque mois les jeunes lecteurs étaient invités à montrer soit un bricolage, soit une œuvre, soit un savoir découvert au cours de ses lectures : je donne alors ma première séance publique de magie après avoir dévoré les “Dix Séances d’Illusionnisme de Boscar (aka Rémi Cellier).
Sur mon guéridon j’ai inscrit un pseudo ridicule NIAN KU.
Au lycée en Science-Ex mes manips de pièce déclencheront la vocation magique de JP Gaudin.
Je passe le concours d’entrée à l’École nationale de Photographie où j’apprends à faire disparaître les boutons d’acné des modèles à l’aide de procédés fastidieux, heureusement il y a un excellent atelier de peinture et j’y découvre mes talents de coloriste en même temps que je m’initie aux joies du croquis rapide.
Après le lycée j’ai pris de bon cours de théâtre vu tous les spectacles du TNP, j’ai créé une troupe amateur au lycée Arago où Bernard Fresson nous donne des notions de mise en scène et nous montons “Georges et Margaret” une comédie anglaise bien barrée.
Comme à l’époque il y avait à Paris de nombreux magiciens de rue et que je les connaissais tous, l’un d’eux me propose un emploi d’aboyeur dans un entresort forain pendant les vacances de Noël j’invite donc les badauds à découvrir les charmes d’une charmeuse de serpents et surmonte les attaques du froid en dévorant des sandwiches à la choucroute près du métro Anvers où je sévis. J’ai comme voisin, la baraque de Chaise, un magicien foutraque qui projette ses photos de vacances sur la poitrine dénudée de ses danseuses!
La fête de Noël terminée, je succombe aux charmes de la montreuse de serpents et nous montons une baraque de “bonne ferte”, la dame y tire les cartes et moi devant j’attire les badauds avec un jeu en chapelet, : Majax me découvre, on devient amis et il vient dans la verdine – lisez roulotte – pour tenter de découvrir les mystères de la magie manouche que nous prétendons détenir nous sommes en en 1959!
Durant ce temps j’ai appris un nombre incalculable de mots à faire rougir Bigard, j’ai assimilé le culot des bateleurs de rue et un bon vocabulaire manouche. Je commence à déchiffrer l’Anglais magique, je traduis Paul le Paul sur un cahier quadrillé, m’abonne au Geni de Harry Stanley. Sursitaire, l’armée me rattrape et me voilà incorporé dans l’infanterie de marine à Pontoise puis en Algérie où je donne dans le désert une mémorable séance de magie en 1961. Ensuite je deviens le photographe du régiment et en profite pour dévorer des bouquins de magie à l’abri de mon laboratoire.
Libéré et de retour en France, mon bac me permet d’entrer par la petite porte à l’Éducation Nationale, je deviens un spécialiste de l’Enfance Inadaptée passe une maîtrise de psy pour comprendre mes erreurs et quitte le fonctionnariat pour créer un atelier thérapeutique de magie dans une association privée (un de mes patients est Gilbert Cherki, il inventera plus tard l’escroquerie au président!)
Tout en travaillant j’entame une analyse (Freud soit loué) que je paye avec les pourboires que me laissent les hôtes du Bœuf à l’Escamote un restaurant magique dans lequel m’a introduit Jacques Tandeau-un de mes papas en magie – j’y invente la technique “du livre d’or” et récolte entre ses pages des biftons comme dirait Jean Merlin qui m’aide gracieusement à l’époque à organiser un réveillon dans ce lieu hélas disparu dans lequel m’ont aidé à Abdul Alafrez et Duraty des amis qui me sont chers.
En 1973 je consacre les trois quarts de mon salaire mensuel à un workshop avec Dai Vernon chez André Mayette et comprends que le close-up est un art à part entière.
Nous sommes maintenant en 1975, Majax me retrouve et c’est le début d’une collaboration qui durera jusqu’en 2008, trente-trois ans qui m’ont permis de rencontrer les magiciens qui font encore rêver en 2021. J’y travaille avec Georges Proust, Gaétan Bloom et James Hodges (et quelques autres) pour produire les émissions de Gérard, en même temps nous participons à des close-up événementiels, hyper bien payés.
Plus tard, l’élégant partenaire habituel de Majax s’étant évaporé, je deviens Igor puis prof. Wonderfool dans le numéro de Pickpocket du créateur d’y a un Truc.
Grâce à Majax je parcours le Monde et fait de belles rencontres, (avec Finn Jon par exemple avec qui je partagerai une croisière)
Je quitte Gérard après les représentations du spectacle de Gérard au Bal à Jo, ce spectacle que nous avons joué au théâtre à Paris, puis en Avignon, m’a valu l’amitié du comédien Jean Claude Dreyfus qui fut à ses débuts magicien
Dans mes expériences marquantes il y a une saison au “Grand céleste” un cirque moderne dirigé par Bruno West, puis la réalisation de tous les effets spéciaux d’une “52 “minutes d’un téléfilm de Patrick Legall, des apparitions dans des programmes de télévisions et une citation élogieuse dans l’Avant Scène pour un sketch que j’ai créé et joué au Théâtre National de Cergy dirigé par le metteur en scène Vincent Colin et des représentations dans la cave du restaurant de Christian Dreyfus le frère de jean Claude, j’y présente le panier indien sous le nez de spectateurs.
C’est Georges Proust qui me présente à Christian Fechner, j’apprends sous ses directives à trouver des merveilles du passé dans différents lieux d’archives: nous nous sommes téléphonés chaque semaine pendant des heures pour définir les recherches nécessaires à ses ouvrages, je ne suis toujours pas remis de sa brutale disparition.
Depuis j’ai écrit régulièrement dans Magicus Magazine. Avant on trouvera des articles et des traductions dans le JDP de Marc Albert ou de MackFink . On trouvera aussi un petit bijou ou Abdul Alafrez et moi-même détaillons des “Procédés étonnants“, ouvrage que commencent à rechercher les collectionneurs.
Mes camarades en magie sont trop nombreux pour être tous cités, les plus anciens Bernard Crimet, Patrick Droude, Jack Barlett , Otto Wessely, puis Nourdine, H. Mayol; Pierre Switon sans compter Roka. Jean Yves Prost et Fred Masschelein m’ont ouvert les portes du regretté magazine Arcane.
Actuellement j’écris beaucoup, dessine énormément et pense à écrire mes souvenirs.
Aujourd’hui j’ai commencé à vendre ma bibliothèque magique (plus de douze cents titres) et je donne encore des leçons de magie et de mise en scène à certains jeunes magiciens.
Albert Goshman m’a confié – en 1975, je crois – dans les couloirs du Lutétia le secret de la “bonne magie”: “You know the trick is not important you have to be magic! “Je m’y efforce.
Merci Gérard pour ce magnifique portrait. Et j’attends avec impatience la publication de tes souvenirs…